NEUF
— LAUREL ?
Le minuscule cylindre de verre en sucre éclata quand Laurel sursauta.
— En haut, cria-t-elle avec lassitude.
David passa la porte à grandes enjambées et lança un bras autour d’elle, puis déposa un baiser sur sa joue. Ses yeux se braquèrent sur le matériel devant elle.
— Que fais-tu ?
Impossible de dissimuler l’excitation dans sa voix. Laissant les menus éclats de verre tomber de sa main en tintant sur la table, Laurel soupira.
— J’essaie de fabriquer des fioles en verre de sucre.
— Sont-elles vraiment en sucre ?
Laurel hocha la tête et se frotta les tempes.
— Tu peux manger ces morceaux, là, si tu le désires, dit-elle en ne s’attendant pas réellement à ce qu’il s’exécute.
David lança un regard dubitatif à la pile de verre éclaté, puis ramassa l’un des plus grands bouts. Il l’examina un moment avant de lécher le côté plat – loin de la pointe acérée.
— Cela ressemble un peu au sucre d’orge, déclara-t-il en le reposant sur la table. Bizarre.
— Plutôt frustrant, je dirais.
— À quoi servent-elles ?
Laurel se tourna vers son nécessaire et en retira une fiole en verre – une de celles fabriquées par Yeardley et non pas elle. Elle n’en avait pas encore réussi une qui avait de l’allure. Elle tendit la fiole à David.
— Certaines potions ou quelques élixirs et autres choses semblables ne peuvent pas être entreposés dans leur forme définitive. On les prépare donc en deux parties. Dès qu’elles se mélangent, l’effet que l’on vise se produit immédiatement. Alors, on les conserve dans des fioles en sucre individuelles afin de pouvoir les assembler au bon moment ou les écraser dans sa main en cas d’urgence.
— Ça me paraît douloureux, constata David en remettant précautionneusement la délicate fiole à Laurel.
Laurel secoua la tête.
— Elle n’est habituellement pas suffisamment épaisse pour te couper. Mais, le cas échéant, le sucre se dissoudrait et tu n’aurais pas besoin d’extirper des bouts de verre de ta main ou rien : c’est pourquoi nous n’utilisons pas de verre normal. Idéalement, on les laisse simplement tomber toutes les deux dans un mortier, ou autre chose, mais on doit être prêt à tout.
Je dois être prête à tout, ajouta-t-elle en elle-même.
— Les potions n’entraînent-elles pas la dissolution du sucre ?
— Elles ne semblent pas le faire.
— Pourquoi pas ?
— Je l’ignore, David, répondit Laurel avec brusquerie. Elles ne le font pas, c’est tout.
— Désolé, s’excusa doucement David.
Il tira un tabouret rose rembourré à lui et rejoignit Laurel à son bureau.
— Alors, comment t’y prends-tu ?
Laurel inspira profondément et s’apprêta à recommencer.
— J’ai de la canne à sucre en poudre, commença-t-elle en pointant un sac de toile avec une fine poudre verdâtre, et je la mélange à de la résine de pin.
Elle suivit ses propres explications, essayant de se concentrer malgré le souffle de David près de son oreille et ses yeux examinant ses mains. Elle pouvait presque entendre son esprit tourner pendant qu’il tentait de tout assimiler.
— Le mélange épaissit et devient collant comme du sirop, continua-t-elle en brassant la mixture avec une cuillère d’argent, et il chauffe.
David hocha la tête sans cesser de l’observer.
— Ensuite, je prends cette petite paille, poursuivit-elle en s’emparant de ce qui ressemblait à une courte paille à boire en verre.
Elle ne dit pas à David qu’il s’agissait d’un diamant d’un seul morceau.
— Je le trempe dans le mélange sucré et je souffle, comme pour du verre normal.
Cela paraissait facile, et la plupart des Mélangeurs de son âge fabriquaient leurs propres fioles depuis des années. Cependant, Laurel n’avait pas encore le bon tour de main.
Elle inspira, attirant juste un tout petit peu de la mixture sucrée dans son tube, puis elle souffla, très lentement, tout en visualisant – avec concentration – la forme qu’elle souhaitait lui donner. Elle tourna le tube en soufflant et la petite bulle au bout s’allongea, s’étira – contrariant toutes les lois de la physique – en un long cylindre au lieu d’une bulle ronde. La mixture opaque et trouble blanchit, puis devint translucide.
Laurel souffla un peu plus d’air dans le tube et le tourna encore une fois avant de retirer sa bouche avec hésitation. Elle réussissait habituellement bien jusqu’à cette étape.
— C’est…
— Chut ! lui ordonna Laurel, soulevant un petit couteau en argent ressemblant à un scalpel.
Elle traça une marque sur le verre en sucre tout autour du bord du tube de diamant, puis elle tira sur le cylindre, lentement, le séparant de la paille.
Le premier côté vint facilement et Laurel fit méticuleusement rouler le cylindre, décollant les autres bords. Elle retint son souffle en tirant sur le tube à son dernier point d’ancrage. Le sucre encore souple plia, puis s’étira en formant un long fil et, enfin, se détacha.
Ce faisant, le cylindre éclata.
— Bon sang ! cria Laurel, jetant brutalement le tube sur son bureau.
— Attention avec cet objet, lui dit David.
Laurel chassa son inquiétude en agitant une main agacée.
— Je ne peux pas le briser, marmonna-t-elle.
Un long silence suivit pendant que Laurel examinait la pile d’éclats de verre, essayant de déterminer ce qui avait mal tourné.
Peut-être que si elle aspirait un peu plus de sirop de sucre, la fiole serait plus épaisse.
— Puis-je… Puis-je essayer ? demanda David avec hésitation.
— S’il le faut, dit Laurel, même si elle savait qu’il n’y arriverait pas.
Mais David sourit largement, puis il fila vers la chaise qu’elle venait de quitter. Elle l’observa pendant qu’il tentait d’imiter ses gestes, aspirant une petite quantité de sirop collant dans la paille et soufflant avec précaution. Pendant une seconde, il sembla que cela allait fonctionner. Une minuscule bulle commença à se former, bien qu’elle fut ronde plutôt qu’oblongue. Mais presque aussitôt formée, elle éclata, émettant un léger gloup, et le liquide coula inutilement hors du tube en diamant.
— Qu’ai-je mal fait ? s’enquit David.
— Rien, déclara Laurel. Tu ne peux pas le faire, c’est tout.
— Je ne vois pas pourquoi ? dit David, regardant la goutte verdâtre pendue au bout du tube. Ce n’est pas logique que nous exécutions exactement les mêmes gestes et obtenions des résultats aussi diamétralement opposés. À tout le moins, ils devraient se ressembler.
— Il ne s’agit pas de physique, David ; ce n’est pas une science. Cela marche pour moi parce que je suis une fée d’automne et c’est la fin de l’explication. Enfin, reprit-elle en prenant le tube à David, cela fonctionne presque.
— Mais pourquoi ?
— Je ne sais pas ! lança Laurel, exaspérée.
— Bien, est-ce que tu souffles d’une manière précise ? Y a-t-il une technique que je suis incapable de voir ? demanda David, ne prenant pas du tout conscience du ton de Laurel.
— Non. Ce que tu vois, c’est ce que je fais. Aucune méthode secrète ni rien.
— Alors, qu’est-ce que je fais de mal ?
— Ce que tu fais de mal ?
Laurel rit avec cynisme.
— David, je ne sais même pas ce que moi, je fais de mal !
Elle s’effondra sur son lit.
— À Avalon, j’ai passé une heure par jour ces trois dernières semaines à m’exercer à souffler des fioles de verre. Et je n’ai pas réussi à en fabriquer une seule sans la briser. Pas une seule !
David la rejoignit sur le lit.
— Une heure chaque jour ?
Laurel savait qu’il se demandait si la pratique l’aiderait lui aussi à souffler des fioles, mais au moins, il ne le dit pas.
— Mes enseignants affirment sans cesse que si j’ai étudié les composants et les procédures, mon intuition devrait s’occuper du reste, mais cela n’a pas encore fonctionné.
— Donc, tu es censée savoir quoi faire.
— C’est ce qu’ils disent toujours.
— Comme… l’instinct ?
À ce mot, Laurel retomba sur le dos, un souffle de frustration s’échappant d’elle dans un bruissement.
— Oh mince ! L’instinct ; voilà un mot sacrilège à Avalon. Yeardley n’arrête pas de me dire : « Tu essaies de te fier à ton instinct ; tu dois plutôt faire confiance à ton intuition. » Mais j’ai cherché ces deux mots dans le dictionnaire et ils signifient exactement la même chose.
David s’allongea à côté d’elle et elle se tourna vers lui, se nichant au creux de son bras, la main drapée sur son torse.
Comment avait-elle pu vivre sans cela pendant huit semaines ?
— C’est tellement frustrant. Tout le monde de mon âge à Avalon est bien en avance sur moi. Et ils continuent d’évoluer. En ce moment même !
Elle soupira.
— Je ne les rattraperai jamais.
— Bien sûr que si, déclara doucement David, ses lèvres lui chatouillant le cou. Tu finiras par tout comprendre.
— Non, cela n’arrivera pas, dit Laurel d’un ton maussade.
— Oui, tu réussiras, répéta David, le nez collé sur celui de Laurel.
Ses bras se resserrèrent autour de la taille de la jeune fée et elle ne put s’empêcher de sourire.
— Merci, dit-elle.
Elle ferma les yeux, attendant son baiser, mais un petit coup discret à la porte lui fit relever brusquement la tête.
— Pourriez-vous au moins ne pas vous embrasser à bouche que veux-tu sur ton lit lorsque je suis à la maison ? demanda sèchement la mère de Laurel. Tu sais : faire semblant de respecter les règlements.
David s’était déjà relevé promptement et écarté à un mètre du lit.
Laurel se redressa lentement et péniblement.
— J’ai quand même laissé la porte ouverte, répliqua-t-elle.
— Oh, bien, rétorqua sa mère. Je suis impatiente de voir ce qui se passera ici la prochaine fois que je passerai devant. Je vais au magasin, poursuivit-elle avant que sa fille ne puisse réagir. Je veux que vous descendiez tous les deux, s’il vous plaît.
Laurel regarda sa mère s’éloigner, vêtue d’une jolie jupe et d’une blouse et portant un sac d’un style très professionnel à l’épaule. C’était juste un des nombreux changements qui avaient accueilli Laurel à son retour d’Avalon.
Le premier avait été génial. David avait ramené Laurel de la terre hier et s’était garé dans son allée de garage à côté d’une Nissan Sentra noire, couronnée d’un chou rouge.
— Je me suis dit que puisque tu es responsable de notre situation financière actuelle, autant que tu en tires certains bénéfices, avait déclaré son père en riant pendant que Laurel poussait des cris perçants et le serrait contre elle.
Le diamant que lui avait offert Jamison l’an dernier pour empêcher ses parents de vendre leur terre avait payé plus que les factures médicales de son père. Cependant, Laurel ne s’était pas attendue à un tel avantage pour elle-même.
Le deuxième gros changement en était un dont elle était au courant. Ses parents avaient décidé de rénover leur très petite demeure en y ajoutant une salle de divertissement – avec de nombreuses grandes fenêtres pour Laurel – et d’élargir la cuisine.
L’absence de Laurel pendant l’été leur était apparue comme l’occasion idéale de procéder. Le travail devait en principe être effectué pour son retour, mais la première chose qu’avait faite Laurel en passant la porte hier avait été de trébucher sur un tas d’outils. Les entrepreneurs avaient promis d’être partis à la fin de la semaine, mais Laurel en doutait.
Le changement le plus radical, par-contre, fut une surprise encore plus grande que la voiture. Au printemps, le père de Laurel avait acheté un espace commercial à côté de sa librairie avec l’intention d’agrandir son magasin. Cependant, peu de temps après son départ pour Avalon, ses parents avaient plutôt décidé d’ouvrir un nouveau commerce : une boutique de naturopathie pour sa mère. Cure Naturelle – inaugurée juste avant le retour à la maison de Laurel – vendait des remèdes faits maison et une vaste gamme de vitamines, d’herbes et d’aliments naturels, ainsi qu’une belle sélection de livres sur la santé et le bien-être fournis par l’excellente librairie voisine. Avec tout le temps que ses deux parents passaient dans leurs boutiques, ils se voyaient à présent davantage que jamais auparavant au cours de leur mariage.
C’est formidable ! se disait Laurel. Après tout, sa mère méritait de posséder quelque chose comme cela pour elle-même. Cependant, pendant l’absence de Laurel, sa mère… s’était éloignée d’elle. Son père ne semblait pas se lasser d’entendre parler d’Avalon, mais pendant ces conversations, sa mère se rappelait soudainement une chose dont elle devait s’occuper dans une autre pièce. Laurel avait l’impression que la nouvelle boutique présentait une voie d’échappement additionnelle ; au cours des vingt-quatre heures depuis son retour, Laurel n’avait vu sa mère que pour un court dîner, et une fois ou deux alors qu’elle partait faire des courses ou en revenait.
Elle soupira et se leva du lit, tirant sur le bras de David pour qu’il l’aide à se relever.
— Viens, allons en bas.
— Ouais, mais…
David désigna les fournitures de fabrication de verre sur le bureau de Laurel.
— J’ai fini pour aujourd’hui, dit-elle. Allons faire quelque chose d’amusant. Il ne nous reste que quelques jours avant notre retour en classe.
Laurel le tira vers la porte.
— Ma mère a cuisiné des brioches à la cannelle ce matin, ajouta-t-elle, essayant de lui donner un motif pour s’exécuter.
Il se laissa entraîner par Laurel cette fois, mais pas avant d’avoir longuement regardé le bureau.
Dans la cuisine, David prit une brioche à la cannelle sur la plaque de cuisson et appliqua dessus une épaisse couche de glaçage au fromage à la crème. En mordant dedans, il se tourna vers la large fenêtre de la cuisine – un nouvel ajout que Laurel aimait vraiment beaucoup.
— Je n’ai pas encore vu Chelsea. Devrions-nous lui téléphoner et lui proposer d’aller voir un film ou de faire autre chose ce soir ?
Laurel referma la pellicule de plastique bien serrée autour du bol de glaçage. L’odeur lui donnait toujours un brin la nausée.
— Bien sûr, si elle n’est pas occupée avec Ryan.
— Ryan ? demanda Laurel, rangeant le glaçage dans le réfrigérateur.
Le grand Ryan ?
— Ouais.
— Sont-ils, genre, ensemble ?
— Chelsea n’a pas été très bavarde à ce sujet – si tu peux imaginer cela –, mais s’ils ne le sont pas maintenant, cela ne saurait tarder.
Tu seras peut-être capable de lui tirer les vers du nez.
— Possiblement. C’est bizarre.
Pas que Chelsea ait un petit ami – Laurel était excitée de cela –, mais qu’elle ait choisi Ryan. Ryan, grand et dégingandé, qui ne parlait pas beaucoup et était particulièrement peu perspicace.
Laurel approuvait l’idée que les contraires s’attirent, mais il se pouvait que l’on soit trop contraire.
Et puis, évidemment, s’ajoutait à cela le problème que Chelsea était amoureuse de David depuis plusieurs années. Toutefois, si elle s’était remise de cet amour, et bien, tant mieux.
Ils gardèrent le silence plusieurs minutes, David terminant sa brioche à la cannelle et Laurel regardant fixement par la fenêtre panoramique en songeant à Chelsea. Enfin, David avala sa dernière bouchée et prit une grande respiration.
— Je pensais avoir vu Barnes hier, juste avant de venir te chercher.
Un frisson de peur glaciale étreignit la poitrine de Laurel.
— Tu pensais ?
— Ouais, ce n’était pas lui. C’était seulement le gars qui dirige la salle de quilles.
— Oh, je l’ai moi-même confondu à deux reprises il y a quelques mois.
Le rire de Laurel était tendu et il s’évanouit complètement quand elle vit le visage de David.
— Pourquoi n’est-il pas revenu, Laurel ? s’enquit-il à voix basse.
Laurel secoua la tête et elle fixa la forêt derrière sa maison par la fenêtre panoramique. Elle se demanda combien de fées exactement vivaient là, l’observant en ce moment même. Peut-être était-ce le bon moment de raconter à David sa discussion avec Jamison.
— Je l’ignore, répondit-elle, en remettant cela à un peu plus tard.
— Nous avons ruiné ses plans. De gros, gros plans. Et il sait où tu demeures.
— Merci de me le rappeler, dit Laurel avec ironie.
— Désolé, je n’essaie pas de te faire peur. Mais j’ai l’impression… Je ne sais pas, comme s’il y avait une corde qui se resserrait un peu plus tous les jours. J’attends constamment qu’il se passe quelque chose. Et cela ne fait qu’empirer, poursuivit-il. Je vois des trolls partout. Chaque fois que j’aperçois un visage étranger portant des lunettes de soleil, je me pose la question. Avec la saison touristique qui a battu son plein cet été, tu peux imaginer que j’ai été paranoïaque pendant deux mois. Et avec toi partie…
Il lui prit le poignet et l’attira à lui, l’embrassant sur le dessus de sa tête blonde.
— Je suis juste content que tu sois revenue.
— Bien.
Elle enroula ses bras autour de la taille de David et se leva sur le bout des orteils pour un baiser. Il lui fallait pas mal s’étirer ces jours-ci : il mesurait presque trente centimètres de plus qu’elle à présent. Il avait grandi de huit centimètres ces six derniers mois et il avait aussi commencé à soulever des poids. Il ne l’avait pas dit ainsi, mais elle soupçonnait que son assurance en avait pris un coup lors de leur rencontre avec Barnes. Peu importe sa motivation, elle ne pouvait pas s’empêcher d’en apprécier les résultats. Elle aimait sa stature ; elle se sentait en sécurité et protégée.
Si seulement elle pouvait réussir les choses qu’elle avait apprises à Avalon, elle se sentirait peut-être encore plus en sécurité.
Chelsea poussa un cri perçant et lança ses bras autour de Laurel, qui rit dans ses cheveux, réalisant à quel point son amie lui avait manqué.
— J’allais venir chez toi hier, lui apprit Chelsea, mais je me suis promis de d’abord t’accorder un jour avec David. Il a été malheureux sans toi.
Laurel sourit largement. Elle était plutôt satisfaite de cela.
— Il a traîné avec moi presque tous les jours et a parlé de toi sans arrêt tout le long du premier mois, mais ensuite j’ai commencé à fréquenter Ryan, et David est devenu tout bizarre, alors je ne l’ai pas vu beaucoup depuis deux semaines. Viens en haut, dit Chelsea au moment où un enchevêtrement de membres s’écrasait dans l’entrée, où elles se tenaient toutes les deux. La dernière semaine avant que l’école recommence est toujours la pire, déclara-t-elle en pointant ses frères luttant sur le plancher.
Laurel n’était pas certaine s’il s’agissait d’une vraie bagarre ou seulement d’un jeu. Dans un cas comme dans l’autre, il valait sûrement mieux s’écarter. Elle suivit une Chelsea bavardant toujours jusqu’en haut, dans sa chambre à coucher ornée de fées.
Laurel était toujours un peu mal à l’aise ici, avec les traditionnelles fées aux ailes de papillons la fixant depuis les murs, le plafond et le dos des livres sur les fées de l’impressionnante collection de Chelsea.
— Alors, tu ne me parais pas très bronzée, dit Chelsea, attendant la réponse.
— Euh, dit Laurel, prise totalement au dépourvu. Quoi ?
— Bronzée, répéta Chelsea. Tu ne parais pas très bronzée. Après presque deux mois dans une retraite en pleine nature, j’ai pensé que tu serais plutôt bronzée.
Laurel avait pratiquement oublié l’alibi que lui avait inventé David : qu’elle était partie en retraite en pleine nature. Une retraite où, fort à propos, on n’avait ni téléphone ni accès à Internet. Laurel se sentait très mal de mentir à Chelsea, sauf que cette dernière était beaucoup trop franche pour garder des secrets. Ironiquement, c’était l’une de ses meilleures qualités.
— Euh, crème solaire, répondit Laurel pour se dérober. Des litres et des litres de crème solaire.
— Et des chapeaux, apparemment, ajouta sèchement Chelsea.
— Ouais. Alors, parle-moi de Ryan, dit Laurel, changeant nerveusement de sujet.
Chelsea découvrit tout à coup quelque chose de très intéressant à examiner sur le tapis.
Laurel rit.
— Chelsea, est-ce que tu rougis ?
Son amie rit nerveusement et haussa les épaules.
— Il te plaît ? insista Laurel.
— Oui. Je ne pensais pas que ce serait le cas, mais oui.
— C’est formidable, déclara sincèrement Laurel. Donc… êtes-vous déjà officiellement un couple ?
— Comment devient-on officiellement un couple ? demanda Chelsea. Est-ce qu’on doit avoir un genre de conversation spéciale où l’on se dit : « Oh mince, je t’aime bien et tu m’aimes bien et nous aimerions nous embrasser, alors à présent c’est officiel ? » Comment cela fonctionne-t-il ?
Les yeux de Laurel s’arrondirent.
— Tu as des séances de baisers passionnés avec Ryan ?
— Je crois que si.
— Soit c’est oui, soit c’est non, reprit Laurel en levant un sourcil.
— Et bien, nous nous embrassons beaucoup. Est-ce que ça compte ?
— Non seulement ça compte, mais je pense que cela vous donne le statut de couple officiel.
— Oh, bien, dit Chelsea en soupirant de soulagement. J’étais totalement stressée parce que nous n’avions pas eu de conversation spéciale ni rien.
— S’embrasser, c’est mieux que se parler, dit Laurel avec un grand sourire. Alors, comment est-ce arrivé ?
Chelsea haussa les épaules.
— Naturellement. Enfin, un peu. Je veux dire, tu sais que j’aimais intensément David depuis une éternité.
Laurel hocha la tête, mais songea qu’il valait mieux ne rien dire.
— C’était au point où je n’avais d’yeux que pour lui. Toujours. Et je détestais que tu sois avec lui ; mais j’adorais vous voir heureux tous les deux et c’était affreux d’être déchirée ainsi.
Laurel se rapprocha un peu plus près et posa une main sur le bras de Chelsea. Il s’agissait là d’un sujet qu’elles n’avaient jamais abordé auparavant, malgré le fait que Laurel savait que cela avait dû être difficile pour Chelsea. Cette dernière sourit et haussa les épaules.
— J’ai donc décidé que je devais mettre un terme à tout cela. Arrêter tout ce qui touchait David. Cesser de penser à lui, de l’observer, même de l’aimer.
— Comment as-tu réussi cela ? demanda Laurel, songeant immédiatement à ses problèmes avec Tamani.
— Je l’ignore, en fait. Je l’ai fait, tout simplement. C’était étrange.
J’ai passé des années à essayer très fort d’attirer le regard de David, de faire en sorte qu’il m’aime. Et c’est comme si j’étais incapable de voir autre chose. Et puis, ce n’est pas tant que j’ai cessé de centrer mon attention sur David, c’est plutôt que je me suis laissée regarder ailleurs. Et c’était vraiment génial.
Ses yeux s’arrondirent d’une manière spectaculaire.
— Il y a des gars partout ; le savais-tu ?
Laurel rit.
— J’ai bien peur d’être encore plutôt centrée sur David.
— Tu le devrais, dit Chelsea sérieusement. Donc, en tout cas, Ryan et moi avons commencé à passer plus de temps ensemble, et puis il m’a invitée à voir un film et ensuite à déjeuner et le temps de le dire, nous étions tout le temps ensemble.
— Et vous vous embrassiez.
— Et nous nous embrassions, acquiesça Chelsea avec enthousiasme.
Ryan embrasse extrêmement bien. Laurel leva les yeux au ciel.
— Bien, voilà une chose que je désirais vraiment savoir, dit-elle avec sarcasme.
— Ah, allons : tout le monde se le demande.
— Pas moi !
— Évidemment. Je me suis toujours demandé comment était David de ce côté-là.
— Euh, c’est une de ces questions que tu n’es pas censée poser.
Chelsea rit.
— Je ne l’ai pas fait. J’ai juste dit que je me la posais.
— C’est demander.
— Pas du tout.
Elle s’appuya sur sa tête de lit.
— Bien sûr, tu pourrais me le dire quand même.
— Chelsea !
— Quoi ? Je te l’ai dit.
— Je ne l’ai pas demandé.
— Détail technique.
— Je ne le dirai pas.
— C’est le code pour il est pourri.
— Il n’est pas pourri.
— Ah ah !
Laurel soupira.
— Tu es tellement étrange.
— Ouais, dit Chelsea avec un grand sourire, repoussant ses boucles bondissantes. Mais tu m’aimes. Laurel rit.
— Oui, c’est vrai.
Elle se pencha et inclina sa tête sur l’épaule de Chelsea.
— Et je suis contente que tu sois heureuse.
— Je serais plus heureuse si tu me disais comment est David au lit.
Laurel lança un regard incrédule à Chelsea, puis la frappa avec un oreiller.